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Madeleine Leveau-Fernandez –
Les Rencontres de l’Histoire de la SHG – jeudi 17 avril 2008 –


© De la Grange-aux-Queulx à Bicêtre : sept siècles d’histoire




    Des « espouvantables esprits de Bissestre » qui hantaient les ruines du château de Jean de Pontoise, effrayant les honnêtes gens qui n’osent plus s’aventurer près de cet endroit maudit, au Centre Hospitalier Universitaire d’aujourd’hui, plusieurs siècles d’histoire sociale, carcérale, politique et médicale jalonnent la vie de ce bâtiment remarquable à bien des égards.
Successivement et, parfois, simultanément, refuge et prison où se mêlent les malades, les pauvres et les prisonniers, accueillant indifféremment vénériens et galeux, vieillards et infirmes, Bicêtre se crée une réputation où misère et turpitudes constituent le lot de ses pensionnaires..
Au XIXe siècle, devenu essentiellement un lieu de détention, Bicêtre reçoit toutes sortes de condamnés y compris des droits communs. Ses célèbres cachots, puis, le départ de la « chaîne » vers le bagne, véritable spectacle populaire, lui valent une réputation terrible.
    En 1881, la prison d’Etat supprimée, Bicêtre devient un « Asile » avec une orientation marquée vers la psychiatrie. C’est à partir de 1950 que la vocation médicale de l’établissement s’affirme avec la disparition progressive des pensionnaires de l’hospice, cédant peu à peu la place aux secteurs médicaux et chirurgicaux.



Madeleine Leveau-Fernandez – Les Rencontres de l’Histoire de la SHG –17 /04/ 08 – Bicêtre

Un lieudit à Gentilly : la Grange-aux-Queulx
Jusqu’en 1896, Bicêtre est, en fait, un écart de Gentilly. Au début du 13e siècle, Louis VIII (1187-1226, roi de France de 1223 à 1226,époux de Blanche de Castille et père de Louis IX, futur Saint Louis) est propriétaire d’un fief situé sur le plateau est de la vallée de la Bièvre. Il offre ce fief à son maître queulx , nom donné au responsable des cuisines royales.
Louis IX rachète le domaine de la Grange-aux-Queulx, en 1257, à Jean Ogier, l’héritier du cuisinier. Il acquiert ce domaine pour y installer provisoirement une communauté de chartreux qu’il souhaite établir dans un monastère dont il a fait entreprendre la construction à Paris, à la porte Saint-Michel, près de l’Université, ancienne limite sud de Paris.
Durant un séjour en France, Jean de Pontoise, évêque de Winchester, fait l’acquisition, en 1286, de ruines situées au lieu-dit la Grange-aux-Queulx. Il y fait reconstruire et agrandir la demeure. Celle-ci est décrite comme « un magnifique donjon féodal dont les flèches orgueilleuses s’élançaient dans les airs semblant menacer le ciel. »
Avec Jean de Pontoise, le château et les terres afférentes perdent le nom de Grange-aux-Queulx au profit de celui de Winchester. Ce nom, à la prononciation difficile pour les Français, subit des déformations. Erreurs orthographiques ou volonté de simplification, le nom évolue au rythme des cadastres et des documents administratifs. C’est ainsi qu’il devient successivement Vincestre, voire Vincextre, puis Bichestre, Bissestre, Bicestre et, enfin, Bicêtre.
En 1400, Jean de France, duc de Berry, entre en possession du château de Vincestre (Bicêtre). Si celui-ci n’est qu’une ruine, le site le séduit et le duc de Berry décide d’y faire élever une construction grandiose.
Lors de la querelle entre les Armagnacs et les Bourguignons, Jean de France se doit de prendre parti. Son cœur est Armagnac. Chacun le sait. Sa résidence parisienne, l’Hôtel de Nesle, est détruite par des révoltés favorables à la famille de Bourgogne. Ceux-ci se portent ensuite vers Bicêtre où le château est assiégé, pillé puis dévasté et brûlé.
En 1632 Richelieu fait raser les ruines du château construit par le duc de Berry au lieu-dit la Grange-aux-Queuls car Henri IV souhaite y faire édifier une maison pour accueillir les vétérans invalides. La mort de Richelieu, en 1642, suivie de celle de Louis XIII, laisse la construction en suspens. La chapelle et les bâtiments déjà édifiés n’allaient pas rester longtemps inoccupés.






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Le grand « renfermement » des pauvres
Déjà en 1611, Louis XIII se plaignait des désordres que causaient les mendiants. Afin de remédier à ce qui devient un véritable fléau. Louis XIV songe à fonder un immense « hôpital général » par la réunion en une seule administration des diverses maisons établies à Paris pour secourir les indigents. C’est l’ancêtre de
l’Assistance publique. Ce qui, au départ, devait être un secours, devient en fait une répression sévère. En 1656, un édit ordonne l’arrestation de tous les mendiants et vagabonds, hommes, femmes, enfants, et leur « renfermement » à l’hôpital général.
Bicêtre est alors divisé en deux grandes sections : d’un côté, la prison, de l’autre, la partie réservée aux « bons pauvres », les vagabonds non récidivistes qui se laissent conduire sans résistance à l’hôpital général. Les autres sont incarcérés à la prison où des instruments de torture remettent les indisciplinés dans le droit chemin.
Pauvres, mendiants et vagabonds n’ont pas longtemps l’exclusivité de Bicêtre. En 1660, le Parlement de Paris décide que l’hôpital général serait « pourvu » pour accueillir les aliénés. Puis, en 1679, les malades vénériens y sont admis et, en 1729, les prisonniers sont incarcérés à la maison de Force de Bicêtre.


L’enfer de Bicêtre
Bicêtre devient alors un lieu de détention et reçoit toutes sortes de condamnés y compris des droits communs. Avant 1792, il existe à Bicêtre deux sortes de détenus, ceux qui paient pension et ceux qui ne paient pas. Les premiers logent dans l’un des 296 cabanons, sorte de petite chambre de 2,60m x 2,50 d’où ils ne sortent jamais. Les autres, vont à la Force où ils vivent enfermés dans des salles communes mesurant 12 mètres de long sur 10 mètres de large pouvant abriter jusqu’à 70 prisonniers.

C’est à ses cachots que Bicêtre doit sa terrible réputation. Ils sont de deux sortes, les noirs et les blancs. Les cachots noirs, creusés à cinq mètres sous le sol, sont les plus sinistres. On y accède par un escalier étroit et raide, fermé au niveau du sol par une trappe. Sans air et sans lumière, huit cellules y reçoivent une aération aveugle par un système de percements obliques dans les piliers. Les prisonniers, enterrés vivants, sont attachés à des chaînes scellées dans les murs. Sortes d’oubliettes où les prisonniers sont nourris lorsque le geôlier y pense, ces cachots ont été comblés en 1793.
La vie dans les cachots blancs n’est pas vraiment plus enviable, mais elle y est adoucie grâce au faible rai de lumière qui descend d’un soupirail


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placé au ras du sol. Des prisonniers aux noms célèbres y sont passés.
C’est de Bicêtre que part la chaîne, événement auquel une foule nombreuse assiste. Le « clou » du spectacle : le ferrement. Les prisonniers qui doivent partir pour le bagne sont attachés deux à deux par un carcan de fer qui est scellé directement sur le prisonnier, la tête posée sur une enclume. La dernière chaîne pour le bagne est partie de Bicêtre en 1836.


Sade à « Bicêtre, la Bastille de la canaille et de la bourgeoisie »
De toute la liste des prisonniers célèbres passés par Bicêtre, les plus « populaires » demeurent le marquis de Sade et Eugène-François Vidocq, même si l’un comme l’autre, n’y restèrent que peu de temps.
Le premier, Donatien-Alphonse-François de Sade, incarcéré en 1801 à la prison Sainte-Pélagie après la publication de La Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu, tente d’assouvir sa lubricité sur des jeunes gens qui y passent quelques jours. Le marquis est alors transféré à Bicêtre le 14 mars 1803. Sa famille se démène pour le sortir de cette « affreuse prison, Bastille de la canaille » et le faire interner à Charenton, maison de santé au régime incomparablement plus doux. Le 27 avril 1803, soit à peine plus d’un mois après son arrivée, le marquis de Sade quitte Bicêtre pour Charenton.
Quant à Vidocq, son premier passage à Bicêtre remonte à 1796, date à laquelle il part, avec la chaîne, pour le bagne de Brest. Il s’échappe de Brest, est repris, s’évade à nouveau. En 1810, Vidocq est à Bicêtre, attendant avec d’autres forçats le départ d’une chaîne qui doit le reconduire à Brest. Ses ennemis (forts nombreux) ont dit que c’était son angoisse de la chaîne qui l’aurait poussé à trahir et à devenir « cuisinier » (dénonciateur).
Utilisé comme mouton à La Force (prison parisienne) et à Bicêtre, il échappe ainsi à la chaîne et au bagne. Il est remis en liberté sous la condition de continuer à servir de dénonciateur, puis assura la carrière policière que nous lui connaissons.


Le problème de l’eau à  Bicêtre 
Véritable ville dans la ville, Bicêtre a besoin d’énormément d’eau pour fonctionner. Jusqu’en 1733, des hommes, employés à cette corvée quotidienne, vont remplir des tonneaux, amarrés sur de lourdes charrettes, dans la Bièvre, à hauteur d’Arcueil, et dans la Seine. Mais l’augmentation de la population de l’hospice oblige à des voyages quotidiens de plus en plus nombreux. On parle d’abandonner Bicêtre si une solution n’est pas trouvée.
En 1733, l’architecte Germain Boffrand est chargé de résoudre le problème. Boffrand se passionne pour ce travail et le résultat est impressionnant : un puits

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de 58 mètres de profondeur, 5 mètres de diamètre, maçonné sur 30 mètres et les 28 mètres restants creusés à vif dans le roc.

En 1733, l’architecte Germain Boffrand est chargé de résoudre le problème. Boffrand se passionne pour ce travail et le résultat est impressionnant : un puits de 58 mètres de profondeur, 5 mètres de diamètre, maçonné sur 30 mètres et les 28 mètres restants creusés à vif dans le roc.
Au-dessus du puits, Boffrand fait installer un grenier à foin pour les chevaux qui servent à actionner le puits. Il servira de dortoir lorsque les hommes remplaceront les chevaux.
A sa sortie du puits, l’eau contenue dans les seaux se déverse dans un petit réservoir en ciment ; elle est propulsée dans une espèce de mini château d’eau
qui la rejette en cascade, afin de l’aérer, dans un second petit réservoir, puis elle se retrouve canalisée dans des tuyaux qui la déversent cette fois dans le grand réservoir.
Si l’approvisionnement en eau est un problème important, l’évacuation des eaux usées n’en est pas moins problématique. Les eaux usées débordent du puisard et répandent une odeur infecte dans tous les environs.


L’ancienne  prison devient un hospice puis le CHU


En 1880, Bicêtre devient un « Asile » même si l’établissement continue d’avoir une orientation marquée vers la psychiatrie. L’hospice de Bicêtre reçoit des indigents hommes âgés de 70 ans minimum, ou des individus atteints d’infirmités incurables, privés de tout moyen d’existence, sans condition d’âge.

C’est à partir de 1950 que la vocation médicale de l’établissement s’affirme avec la disparition progressive des pensionnaires de l’hospice, cédant peu à peu la place aux secteurs médicaux et chirurgicaux.



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Aujourd’hui, Bicêtre emploie près de 4000 personnes (personnel médical et non-médical confondus à l’exception des médecins de garde non comptabilisés). C’est un établissement au budget annuel total de plus d’un milliard de francs (chiffre de la fin des années 1990) qui offre 20 services médico-techniques, 19 services d’hospitalisation dans le secteur adultes et 10 dans le secteur pédiatrie.
Les « espouvantables esprits de Bicêtre » ont vécu…


Le Kremlin-Bicêtre dans la littérature

* Boudard Alphonse - L'Hôpital, une hostobiographie – Edition de la Table Ronde - 1972

* Céline Louis-Ferdinand - Voyage au bout de la nuit - Folio - 2001

* Cendrars Blaise / Doisneau Robert - La Banlieue de Paris - Seghers - 1949 (1ère édition)

* Didier Marie - Dans la nuit de Bicêtre - folio - 2007

* Hugo Victor  - Notre-Dame de Paris - GF Flammarion - 1984
             - Le Dernier jour d'un condamné - Poche Nathan - 1984

* Mercier - Louis-Sébastien - Le Tableau de Paris - FM/La Découverte - 1979

* Poulaille Henri - Seul dans la vie à 14 ans - Roman/Stock - 1980

* Sade D.A.F. marquis de - Journal inédit - Folio/Essai - 1994

* Simenon Georges - Les anneaux de Bicêtre - Presses de la Cité - 1963 (1ère édition)

* Vercken Pascal - Sur la Nationale 7 - Zulma – 2000